Solutions immobilières
Estimation des délais de commercialisation : l’apport des modèles de survie
Lors de la mise en vente ou en location d’un bien plusieurs questions se posent :
- Quel est le juste prix ?
- Est-ce le bon moment ?
- En combien de temps puis-je espérer trouver preneur ?
La question de l’estimation du délai de commercialisation d’un bien récemment mis sur le marché n’est pas si triviale qu’elle peut paraître. Nous n’observons les délais pour les biens récemment mis sur le marché que de manière partielle : une majorité de biens n’ayant pas encore trouvé preneur, seuls les délais des biens ayant été rapidement vendus/loués sont observés. Ne considérer que ces derniers mène mécaniquement à une sous-estimation des délais de commercialisation.
L’alternative habituelle consistant à construire des statistiques sur les biens récemment sortis de commercialisation permet de contourner ce problème mais n’est pas très satisfaisante : elle ne répond pas à la même question et peut déformer les dynamiques de marché comme la saisonnalité par exemple.
Cet article illustre ces limites et met en lumière l'intérêt des modèles de survie pour fournir une réponse appropriée à la question de l’estimation des délais de commercialisation pour les biens récemment arrivés sur le marché. Ces modèles sont mis en œuvre pour construire les indicateurs Yanport de délais de commercialisation accessibles dans notre Observatoire et via notre API.
Les limites des statistiques simples
Les statistiques de délais de commercialisation, que ce soit pour les biens mis en vente ou en location, peuvent être approchées à l’aide des durées de publication en regroupant les biens par période de publication. Néanmoins, qu’en est-il lorsque l’on souhaite connaître ces délais pour les biens récemment mis sur le marché ? Les durées de publication ne peuvent être récoltées que pour les biens n’étant plus disponibles, autrement dit, ayant été vendus ou loués. Chez Yanport, on parle alors de biens inactifs. Pour ceux qui sont toujours disponibles (biens actifs dans la terminologie Yanport), il n’est pas possible de connaître précisément le temps qu’ils passeront encore sur le marché.
Ainsi, récolter naïvement les délais observés pour les biens inactifs, alors qu’une proportion non négligeable de biens est toujours active, mène mécaniquement à une sous-estimation des délais de commercialisation récents. Cet effet est mis en évidence dans la Figure 1 ci-dessous. On observe une réduction des durées en approchant la date courante (on se place ici pour l’exercice au 1er août 2023). Les durées exactes pour juillet 2023 sont obtenues après que l’ensemble des biens publiés ce mois soit sorti de publication, soit plus de 6 mois plus tard, en janvier 2024. On peut constater que l’écart entre les délais réels et les délais obtenus via les observations incomplètes est corrélé au taux de biens actifs.
Dans le cas présenté ici, considérer naïvement ces délais observés amènerait à la conclusion que le marché est en train de se tendre, alors que la vérité est à l’exact opposé.
Un contournement habituel consiste à observer les durées de publication non pas en fonction de la date de publication, mais en fonction de la date de dépublication. Cependant, la question posée n’est plus la même. Au lieu de répondre à la question :“Quels sont les délais moyens pour les biens publiés durant une période donnée ?”, cette approche répond plutôt à la question “Quels ont été les délais moyens pour les biens ayant été vendus/loués durant une période donnée ?”.
La différence peut sembler ténue de prime abord, elle est néanmoins primordiale. Ainsi, les deux exemples suivants visent à la mettre en évidence sur des cas concrets. La Figure 2 présente l’évolution des durées de commercialisation par date de publication ou dépublication pour le marché locatif Lillois. On peut remarquer que les biens publiés avant le début du confinement (avant le 17 mars) sont restés sur le marché pour des durées supérieures à la normale (>30 jours) car ils n’ont pu être loués pendant le confinement (qui s’est prolongé jusqu’au 11 mai) - cela se traduit par un pic sur les délais de commercialisation lorsqu’ils sont calculés par date de publication. L’effet du confinement est en revanche à peine perceptible lorsque les délais sont calculés sur les dates de dépublication car les biens considérés ont pu être publiés bien avant le début du confinement.
Un second exemple concerne la saisonnalité qu’il est possible d’observer pour les durées de commercialisation dans le marché locatif. La Figure 3 met en évidence cette saisonnalité forte sur la location d’appartements lorsque les biens sont regroupés par date de publication (bleu). On y observe des durées plus courtes lors des mois d’été, en particulier au mois d'août avec des durées inférieures de 5 jours par rapport à la moyenne annuelle, et au contraire, des délais rallongés au printemps (mars, +6 jours). En observant ces durées par date de dépublication (rose), on peut noter deux points. Premièrement, la saisonnalité est atténuée - les décalages à la moyenne annuelle sont de l’ordre de deux jours contre cinq dans le cas précédent. Deuxièmement, les mois avec les durées les plus longues ou les plus courtes sont décalés d’environ deux mois (mars à mai et août à septembre).
Ainsi, afin de fournir une information pertinente quant au délai attendu pour la vente ou location d’un bien, il convient d’obtenir ces délais par date de publication. Les délais de commercialisation des biens vendus par exemple en août ne sont pas pertinents pour évaluer les délais de commercialisation des biens entrés sur le marché à cette période.
L’apport des modèles de survie
Pour pouvoir répondre à la question “En combien de temps peut-on espérer vendre/louer un bien ?” – c'est-à-dire estimer les délais de commercialisation à date de mise sur le marché le plus précisément possible – nous utilisons des modèles de survie. Ces modèles visent à estimer la durée jusqu’à la survenue d’un événement, comme par exemple la durée de vie d’un composant électronique, le délai avant la récidive d’une maladie ou comme dans notre cas, la dépublication d’une annonce (comme approximation du délai de commercialisation), et ceci en fonction des caractéristiques des objets (les biens dans notre cas) auxquels nous nous intéressons.
La spécificité des modèles de survie réside dans leur capacité à modéliser une variable de type “durée” mais aussi et surtout à gérer les données dites censurées. Ces dernières correspondent à l’ensemble des biens toujours actifs pour lesquels l'événement de dépublication n’a pas encore eu lieu. Nous savons que le délai pour ces biens est supérieur à une certaine durée (la différence entre le jour courant et la date de publication) mais la durée exacte ne sera connue qu’au moment de leur dépublication. Les modèles de survie exploitent cette information partielle pour fournir une estimation plus robuste que les méthodes qui se limiteraient aux données complètes.
L’apport de ce type de modèle est illustré dans la Figure 4. Bien que le modèle ne puisse observer que les données indiquées en bleu foncé, ce dernier intègre cependant l’information quant au statut actif/inactif de biens et parvient ainsi à approcher les durées réelles observées (proximité des courbes bleue et rose).
Ils fournissent ainsi une estimation du délai nécessaire pour qu'un bien trouve preneur en tenant compte des spécificités du marché et du bien. Ces modèles sont ensuite mis à contribution pour la construction des indicateurs Yanport et fournissent une information complémentaire à celle des indicateurs habituels comme les prix. Les indicateurs de délais permettent d’évaluer la tension de marché (le rapport de force entre l’offre et la demande) et sont particulièrement corrélés aux taux d’intérêt des emprunts bancaires (Figure 5 ci-dessous).
Nous pouvons en effet supposer que l’augmentation des taux a affecté la demande solvable. L’ajustement des prix étant très progressif, les délais de commercialisation ont augmenté. La stabilisation, voire la baisse des prix suivant les zones et typologies, associée à une baisse récente des taux sont corrélées à la stabilisation, voire la baisse, des délais de commercialisation.
Ainsi, la mise en oeuvre des modèles de survie pour répondre de manière adéquate à la question d’intérêt (“Combien de temps un bien récemment mis sur le marché y restera ?”) nous permet de construire des indicateurs de délais pertinents complémentaires aux autres indicateurs, tels les prix, les rendements locatifs, les marges de négociation ou encore les volumes.